Au Japon, en vertu d’une loi eugéniste en vigueur entre 1948 et 1996, au moins 25 000 personnes avec un handicap mental ou une maladie héréditaire ont été stérilisées et des dizaines de milliers de femmes ont dû avorter. 65 % des personnes stérilisées l’ont été sans leur consentement. Parmi ces victimes figuraient deux enfants de 9 ans et au moins 27 personnes n’ayant pas été préalablement informées de la nature de l’opération.
Ces chiffres, accablants, sont les principales informations du rapport rédigé par les deux chambres du pays et diffusé le 19 juin, rapporte le quotidien japonais Yomiuri Shimbun. “Long de 1 400 pages, le document décrypte en détail” comment cette politique eugéniste a été promue par l’État japonais. Selon le rapport, “il n’y a pas de trace de débats critiques à l’époque”, résume le journal.
“Afin de ne plus jamais commettre la même erreur, chacun d’entre nous se doit de regarder en face en toute sincérité la gravité du contenu du rapport”, a commenté le président de la Chambre des conseillers, Hidehisa Otsuji, cité par TV Asahi.
“J’aurais pu vivre plein de moments de bonheur”
Sur cette très épineuse question, l’État japonais refusait initialement de s’excuser et dédommager les victimes, en considérant qu’à l’époque “le dispositif était conforme à la loi”, rappelle de son côté la NHK, la chaîne de télévision publique du Japon.
Cependant, poussés par un procès intenté par une victime, “les parlementaires japonais ont adopté en 2019 une loi ayant pour but de venir en aide aux personnes stérilisées”, continue la chaîne. Le rapport, destiné à faire la lumière sur le processus politique et législatif ayant abouti à la mise en place de cette loi et à rendre compte de la réalité des victimes, a été commandé dans le cadre du texte de 2019.
À l’occasion de la publication du rapport, une des plaignantes a accordé une interview au Shizuoka Shimbun, le quotidien régional de la préfecture de Shizuoka (centre du Japon). Cette septuagénaire vivant dans la préfecture de Miyagi (nord-est du Japon) a été stérilisée à l’âge de 16 ans sans que l’on lui donne aucune information : “Je me sens misérable. Je ne peux pas revenir à mes 16 ans. J’aurais pu vivre plein de moments de bonheur.”
Procès interminables
Jusqu’ici, 38 personnes ont porté plainte contre l’État simultanément, dans douze tribunaux régionaux. La justice japonaise, en s’appuyant sur le délai de forclusion, fixé à vingt ans, a dans un premier temps rejeté leur requête – les plaignants ont été opérés dans les années 1950 et 1960. Mais en 2022, la Haute Cour de Tokyo a condamné l’État à verser des compensations financières aux victimes, en restreignant l’application du délai de forclusion.
“À ce stade, sept jugements donnent raison aux plaignants”, constate le journal Mainichi Shimbun. Cependant, l’État ayant fait appel de ces décisions, la lutte judiciaire se poursuit. “Les victimes sont très âgées, certaines sont même décédées durant les procès, continue le quotidien. Compte tenu de la publication du rapport, elles réclament une décision politique qui mettrait fin à ces dossiers dans le meilleur délai. Il serait souhaitable que les autorités trouvent une solution aussi rapide que possible.”
Courrier International
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